Le fleuve est miroir; d'encre noire, sous le ciel d'aube. Seul le cliquetis des flots sur la coque rompt le silence. À bord, une dizaine de passagers sont cois. Caméra et téléphone à la main, ils attendent. Excités, mais immobiles. Émerveillés, mais suspendus. Un rare moment de calme dans un monde frénétique. Puis soudainement : « Prrrrrfffsshhh! » Sur la droite, le Saint-Laurent prend vie. « Prrrrrfffsshhh! » Les murmures d'extase, le cliquetis des clichés. « Prrrrrfffsshhh! » Par ces bouffées de rorquals respire l'exaltation des touristes. Un pur exemple de la raison d'être de cette embarcation marquée « DuFleuve » : un moment d'intimité que vous partagez avec la richesse du Saint-Laurent - dans tout son vivant.
Le fleuve est miroir; d'encre noire, sous le ciel d'aube. Seul le cliquetis des flots sur la coque rompt le silence. À bord, une dizaine de passagers sont cois. Caméra et téléphone à la main, ils attendent. Excités, mais immobiles. Émerveillés, mais suspendus. Un rare moment de calme dans un monde frénétique. Puis soudainement : « Prrrrrfffsshhh! » Sur la droite, le Saint-Laurent prend vie. « Prrrrrfffsshhh! » Les murmures d'extase, le cliquetis des clichés. « Prrrrrfffsshhh! » Par ces bouffées de rorquals respire l'exaltation des touristes. Un pur exemple de la raison d'être de cette embarcation marquée « DuFleuve » : un moment d'intimité que vous partagez avec la richesse du Saint-Laurent - dans tout son vivant.
À vitesse petit V
« L'objectif, c'est de moderniser l'industrie, rajeunir, emmener un vent de fraîcheur dans les croisières aux baleines. » Au quai de l'anse aux Basques, aux Escoumins, Simon Beaudry poursuit son briefing de sécurité aux passagers. Longues salopettes brunâtres, bonnet rouge tel un Cousteau de la Côte-Nord, son ton délicat impose déjà le calme. L'aura posée du capitaine reflète celle de DuFleuve, la compagnie dont il est copropriétaire. « On va essayer d'aller tranquillement, poursuit-il, on va prendre nos distances. C'est vraiment notre objectif, de ralentir un peu l'industrie. » S'approcher des mammifères marins se fait toujours lentement, mais DuFleuve veut freiner encore plus.
PAUSE
Si vous lisez cet article entre deux bouchées de sandwich. Prenez un moment. Inspirez.
Si vous lisez cet article à la va-vite. Prenez un moment. Expirez.
Regardez autour de vous, voyez-vous un brin de nature. Inspirez.
Faune ou flore, admirez-le dans toute sa splendeur. Expirez.
Êtes-vous plus calme, plus serein? Oui? C'est l'état d'esprit DuFleuve, indispensable pour lire cet article.
FIN DE LA PAUSE
« Merci de nous encourager là-dedans, c'est un projet à long terme », termine Simon, visiblement reconnaissant. La saison 2025 est la première complète de DuFleuve, entreprise lancée en juillet 2024. Simon Beaudry et son partenaire Robin Mérédith ont acheté un autre croisiériste pour acquérir les précieux permis d'observation de mammifères marins. Le nombre de ces permis est limité sur le Saint-Laurent, question de contrôler le total de bateaux en circulation.
Au-delà des baleines
« Si on voit des grands souffles c'est intéressant, on va peut-être s'approcher, mais pas pour voir les baleines », annonce Renaud Pintiaux. Le guide-interprète et ses passagers se sont levés tôt pour cette journée qui aura des ailes. « On ne veut pas faire décoller les oiseaux inutilement, enchaîne-t-il. C'est comme avec les baleines, on ne va pas aller les pourchasser. » Une autre aventure au ralenti : place à la croisière aux oiseaux!
Observer l'avifaune n'a rien à voir avec observer les baleines : comportements, rythmes, attentes… tout est différent. DuFleuve offre donc deux produits distincts. « Les oiseaux marins vont repérer la nourriture en longeant les barres de courant, raconte Renaud à ses passagers. Les barres de courant, c'est typique du Saint-Laurent. Les rencontres des eaux des Grands Lacs, du Saguenay, de l'océan… ces eaux-là se mélangent avec les marées. » Zones de remous, différentes textures à la surface; repérez-les et vous trouverez les oiseaux. Cette croisière sera peuplée de toutes sortes d'espèces, plus communes ou plus rares. « Mon objectif est de vous montrer des oiseaux que vous ne verrez pas de la terre ferme. Pour voir certaines espèces, il faut aller loin au large. Comme la mouette de sabine, comme les phalaropes. » Pha-la-quoi?
La richesse en toute intimité
« Regarde, regarde, regarde! », s'exclame Emeline. L'étudiante française tire son père par la manche. « C'est un petit rorqual », confirme le capitaine Simon. Rapidement, l'animal sur tribord est ciblé par toutes les caméras. « Ralentir permet de limiter le dérangement dans le parc marin autour des baleines, ajoute Simon. Mais on essaie aussi de ralentir le rythme des gens qui sont en vacances, qui ont l'habitude d'être super pressés. On les ramène un peu plus au rythme du fleuve. »
« J'ai trouvé cette compagnie sur internet, elle avait bonne presse », confie Léon Kral, touriste originaire de la Moselle, dans l'est de la France. « J'ai lu que l'embarcation était limitée à 12 places. » Des groupes restreints permettent à DuFleuve de garantir à tous un service personnalisé et un accès privilégié au capitaine-naturaliste. Et même à capacité maximale, aucune sardine à bord, tout le monde respire à son aise.
« Là-bas, des bélugas, derrière les petits pingouins », pointe Simon. Une main sur le gouvernail, le capitaine est toujours aux aguets. « Ils sont super sociables, mais il faut rester loin », partage-t-il. Le béluga est hyper protégé, interdit de l'approcher à moins de 400 mètres. En cette magnifique journée ensoleillée, les touristes profitent de bien plus qu'une croisière d'observation, c'est un atelier complet d'identification et d'interprétation. La classe sur mer.
Voir, mais surtout observer
« À 11 heures, c'est une mouette tridactyle. C'est assez courant, on la voit super bien ici. » Renaud a guidé la capitaine directement dans une barre de courant. À la surface, la nourriture flotte : algues, insectes, poissons morts. On devine aussi la richesse du krill sous les vagues. Ce garde-manger flottant transforme la Haute-Côte-Nord en escale parfaite pour les migrateurs, entre le Grand Nord et leur territoire hivernal.
Les croisières aux oiseaux permettent à DuFleuve d'étirer sa saison d'opérations en profitant des pointes migratoires, au printemps et à la fin de l'été. « Il y a des mouettes de Bonaparte posées juste là, montre Renaud sur la gauche. Et eux là-bas, ce sont des jeunes goélands marins. » Avec ses croisières aux oiseaux, DuFleuve s'adresse à tout le monde. À bord, les néophytes se mêlent aux ornithologues plus aguerris; cette richesse alimente les discussions, les connaissances virevoltent d'un passager à l'autre.
Connaître pour mieux apprécier
Le soleil descend sur l'horizon, les répits ont été peu nombreux. Simon rassemble ses élèves - passagers - et sort un épais document boudiné. Sur les pages, images et tableaux se succèdent. « Il y en a qui ont des noms, d'autres des numéros? », demande une dame derrière. « Les plus connus et ceux qui ont des traits plus distinctifs sont identifiés », révèle Simon. « Avec un corps aussi gros, pourquoi la nageoire est aussi petite, s'interroge Emeline. Elle pointe vers la délicate nageoire dorsale sur la photo d'une immense baleine bleue. « C'est probablement une transition génétique », répond le capitaine… « Prrrrrfffsshhh! » à bâbord. Cette question ne pouvait mieux tomber… « Prrrrrfffsshhh! » un peu plus loin. « Je ne peux pas croire. » « Prrrrrfffsshhh! », une autre entre les deux. « Il y en a au moins quatre! », compte Simon lui-même ébahi devant cette scène tombée DuFleuve. Ce salue final aux apprentis naturalistes s'étirera sur plusieurs dizaines de minutes. Les baleines bleues du Saint-Laurent ont-elles senti qu'on parlait d'elles?
Le fleuve est un tout
« Je vois un phalarope! », s'écrie Renaud, qui peine à se contenir. Debout, jumelles aux yeux, il pointe droit devant. « Il y en a deux, non trois… Yesss! » Sa ferveur gagne rapidement les passagers. « Là, on va faire très attention. Peux-tu me les garder sur tribord pour l'instant », demande-t-il à la capitaine. Les jumelles s'activent pour observer les oiseaux que seul Renaud a vus… pour l'instant. « Regardez les quatre mouettes là-bas. Et devant ça, à midi donc. On va y aller tout doucement. »
« Je pensais que c'était plus gros que ça! », se surprend Isabelle Roy, passagère assise en proue. « C'est super intéressant, ajoute-t-elle. J'aimais vraiment l'idée de voir des phalaropes, parce qu'on ne les voit pas ailleurs. » À peine plus gros qu'un moineau, ces phalaropes à bec étroit nichent loin dans la toundra. « C'est une des espèces que j'espérais voir, parce que c'est le temps idéal, constate Renaud. Ça dure peut-être 10, 15, 20 jours… ils passent ici, ils s'arrêtent au milieu du fleuve. Et après, ils s'en vont. »
« Les oiseaux ont besoin d'être appréciés davantage », estime Simon Beaudry, aujourd'hui à bord comme simple passager. « On s'appelle “DuFleuve”, on n'est pas juste une compagnie de croisières aux baleines. » Peu importe la saison, peu importe l'observation, chacun peut y trouver son compte dans la richesse du Saint-Laurent. Car vivre au rythme DuFleuve, c'est ralentir pour découvrir. « On est une compagnie qui ouvre les gens sur tout ce qu'on trouve dans le fleuve. […] C'est de le faire dans un environnement calme, doux et lent pour pouvoir en profiter. » Et explorer au rythme DuFleuve, c'est ralentir pour s'immerger.

Simon Beaudry derrière son gouvernail

Coucher du soleil sur le fleuve

Renaud Pintiaux et la capitaine Julie Fesquet

Emeline, son père et Simon

Oiseaux dans une barre de courant

Photo de la nageoire dorsale d'une baleine bleue

Isabelle Roy qui scrute l'horizon
